Ce billet aurait tout aussi bien pu s’intituler “du Four” à “Fanad Head”, ou de “Saint-Mathieu” à “Inishowen”… Non, ce sera de Kermorvan à Valentia. D’un phare l’autre, d’une presqu’île à une île, d’un bord de la Mer Celtique à l’autre. Valentia Island
Inishowen
i
Kermorvan
Saint-Mathieu
Tout simplement, je veux, dans ces pages, parler de l’Irlande, l’île des saints et des sages*. Et pour en parler le plus simplement possible, je vais laisser la parole à d’autres.
Voici donc une liste de lectures recommandées, quelques musiques conseillées, des personnages ou lieux à connaître, et des images.
Bon voyage.
L’Irlande en Littérature:
Pays de 4 Prix Nobel de Littérature et siège d’une des plus belles bibliothèques au monde, l’Irlande est un pays où le livre, le récit, la geste, l’épopée, le poème sont rois.
Livres format poche (10/18 ou Points) à lire absolument:
Joseph O’Connor: L’étoile des mers;
Nuala O’Faolain: L’histoire de Chicago May;
Robert McLiam Wilson: Eureka Street, Les dépossédés;
Roddy Doyle: La femme qui se cognait dans les portes;
Frank McCourt: Les cendres d’Angela.
Auteurs (à demander à votre bibliothèque habituelle):
James Joyce, (le plus grand): ne pas manquer Ulysse, Gens de Dublin, Finnegan’s Wake (difficile);
Romans: Bram Stoker, Liam O’Flaherty, John Connolly, Ian McEwan, et les auteurs cités ci –dessus (Nuala O’Faolain, Joseph O’Connor,…);
Théâtre et poésie: George Bernard Shaw, Samuel Beckett, Oscar Wilde, John Millington Synge, William Butler Yeats, Sean O’Casey;
Lire aussi l’autobiographie de O’Casey (3 tomes dont Les Tambours de Dublin…). Lecture un peu difficile, mais passionnante.
Lire enfin impérativement Jonathan Swift: Instructions aux domestiques, Les Voyages de Gulliver et surtout “Modeste Proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public”. Ce court ouvrage de 1729 n’a pas pris une ride: c’est un chef d’œuvre absolu, à déguster si vous voulez approcher l’humour irlandais. (Texte intégral aux Editions Mille et Une Nuits “Petite Collection” 2,50 €) . Consultable à partir du lien ci-dessous (achetez quand même le livre):
- //fr.wikisource.org/w/index.php?title=Modeste_proposition&oldid=2885332
Ne pas manquer non plus les 2 romans de Sorj Chalandon: "Mon Traître" et "Retour à Killybegs". Ce journaliste et écrivain français a remarquablement écrit sur ce que l’on peut ressentir quand on aime l’Irlande, et la réalité du conflit irlandais depuis le début du XX° siècle jusqu’au processus de paix.
Profitez-en aussi pour découvrir Jonathan Coe, auteur anglais né en 1961 à Birmingham. Deux de ses romans (Bienvenue au Club et Le Cercle Fermé) évoquent les rapports de l’Angleterre de Margaret Thatcher avec l’Irlande. C’est un grand écrivain, à découvrir rapidement.
L’Irlande au cinéma:
(les titres indiqués sont les titres en version française)
Les classiques:
La Fille de Ryan de David Lean (1970), L’Homme Tranquille de John Ford (1952), et Le Jeune Cassidy du même John Ford (1965).
Parmi les plus récents: Michael Collins de Neil Jordan (1996), Le vent se lève de Ken Loach (2005).
Voir aussi les films de Jim Sheridan: My left foot (1989), The Field (1990), Au nom du Père (1994) un très grand film avec un superbe Daniel Day Lewis, The Boxer (1998), In America (2004).
Les films sociaux ou politiques (à voir sans hésiter): d’Alan Parker: The Commitments (1991) et Les Cendres d’Angela (1999), de Neil Jordan: The Crying Game (1992), de Stephen Frears: The Snapper (1993), The Van (1996), Liam (2000), d’Anjelica Huston: Agnes Browne (1999), de Paul Greengrass: Bloody Sunday (2002), de Steve Mac Queen: Hunger (2008), de Pete Travis: Omagh (2003).
Citons aussi: Un taxi mauve, film français d’Yves Boisset, Gens de Dublin de John Huston, Vieilles Canailles de Kirk Jones, le Général de John Boorman sans oublier le chef d’oeuvre de Stanley Kubrick: Barry Lyndon (de nombreux cinémas organisent en 2012 une rétrospective Kubrick: profitez-en pour voir ou revoir ce film magnifique sur grand écran). L’homme d’Aran de Robert Flaherty (1934), comme toute l’oeuvre de ce grand documentariste (Nanouk, Louisiana Story, La Terre) est à découvrir, si l’occasion – rare – se présente…
Il ne faut pas oublier que bon nombre de livres et de films américains évoquent l’Irlande à travers l’Irlandais, figure centrale de l’immigration au même titre que l’immigré italien (on peut citer le très beau film de Martin Scorses “Gangs of New York”, par exemple). L’Irlandais est ainsi le plus souvent flic (à New-York ou Chicago), bagarreur, roux, catholique et alcoolique, ou quelquefois boxeur (voir “Les anges aux figures sales” de Michael Curtiz avec James Cagney, Pat O’Brien et Humphrey Bogart). James Cagney (Oscar en 1942) a prêté son visage à ce stéréotype, tantôt policier, tantôt voyou, mais toujours bagarreur. Clint Eastwood reprend le sujet (Mystic River, Million Dollar Baby)… On peut dire que dans la majorité des oeuvres américaines passe un O’Rourke ou un Monahan (chez Henry Miller, par exemple), ou un curé catholique nommé Father O’Flynn ou Finnegan.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelques acteurs américains ayant au moins un parent ou grand-parent irlandais:
-George Clooney, Sean Penn, Johnny Depp, Kevin Costner, John Wayne, Buster Keaton, Harrison Ford, Judy Garland et Liza Minnelli, Clint Eastwood, Robert Redford, Grace Kelly,Marlon Brando, Gene Kelly, Rita Hayworth et beaucoup d’autres, et surtout la sublime Maureen O’Hara.
La musique:
Quel que soit le musicien, son style, son répertoire, il est toujours empreint de tradition et inscrit dans la lignée de la musique irlandaise.
La musique traditionnelle présente de nombreux traits communs avec la musique bretonne (musique à danser ou complaintes semblables aux gwerzioù). La jig a conquis le monde entier, avec ses variantes de step dancing (claquettes) ou le reel avec ses figures par couples ou en groupes. Les instruments de base sont le violon (fiddle), la flûte (whistle), l’accordéon, le concertina, le banjo-mandoline et la guitare, plus moderne. Les instruments spécifiques sont le uilleann pipe (cornemuse irlandaise), le bodhran (percussion) et la harpe irlandaise, la plus célèbre des harpes celtiques.
Cette musique vit au quotidien dans les pubs, les festivals, les sessions. Elle a essaimé en Amérique, Australie, Nouvelle-Zélande, avec les émigrants irlandais, elle est une des principales sources de la musique nord-américaine avec le jazz et les rythmes afro-américains. Elle chante aujourd’hui encore le travail (Paddy works on the railway), la Grande Famine (The fields of Athenry), l’exil (Spancil Hill), les veillées funèbres (Finnegan’s Wake), la vie sur les bateaux (The Irish Rover), les combats pour l’indépendance (The Foggy Dew) et la beauté des femmes (The Black Velvet Band)… Entendez les supporters de l’équipe de rugby d’Irlande, ou de l’équipe de foot de Manchester United chanter en choeur… Dans toute civilisation celte, le conteur et le chanteur (qui ne font souvent qu’un: le barde) font l’objet d’une vénération quasi religieuse. En Irlande, où cet art du récit, de la ballade, a été porté au plus haut, cette vénération s’est doublée d’un statut de porte-parole des luttes, des souffrances, et des joies. Les plus populaires des chanteurs ont eu droit à des funérailles quasi-nationales (Tommy Makem et les Clancy aux Etats-Unis, Ronnie Drew, Luke Kelly en Irlande).
Aujourd’hui, plusieurs spectacles musicaux tournent dans le monde entier avec la même base de musique, danse, claquettes, que ce soit Celtic Legend, Celtic Woman, etc…
Les groupes historiques:
Les Clancy Brothers et Tommy Makem, surtout connus à partir des Etats-Unis, où ils avaient émigré. Parmi les premiers à populariser le pull irlandais en laine d’Aran et le répertoire traditionnel, suivis par les New Lost City Ramblers.
The Dubliners: groupe constitué en 1962 et encore présent sur scène aujourd’hui (100 dates de concert par an dans toute l’Europe). Ils fêtent cette année leurs 50 ans d’existence et de musique. A découvrir absolument.
J’ai une affection particulière pour les Furey Brothers (The Fureys- 30 ans de scène). The Bothy Band, Planxty, The Chieftains, Cherish the Ladies, Clannad, the Churchfitters, The Wolfe Tones, The Dublin City Ramblers… sont pour certains encore aujourd’hui les interprètes de cette musique traditionnelle et populaire, toujours vivante et quelquefois militante.
Enfin, je citerai le groupe Flying Column et Kathleen Largey, groupe fondé à Belfast en 1968: républicains actifs et convaincus, dont les recettes alimentaient la cause républicaine.
Musique actuelle:
Van Morrison, Rory Gallagher, Gary Moore, U2, Bob Geldof et les Boomtown Rats, The Pogues, Sinead O’Connor, The Cranberries, The Corrs, De Dannan, Dropkick Murphys, Tara, Flogging Molly, tous mélangent airs traditionnels et inspirations modernes, du pop rock jusqu’au punk celtique.
N’oublions pas Enya, ex Clannad, voix célèbre de la chanson irlandaise actuelle. Pour finir, je vous invite à découvrir Christy Moore, ex du groupe Planxty, et qui est un des chanteurs les plus populaires en Irlande, popularité qu’il doit à son répertoire engagé autant qu’à ses qualités d’homme (une sorte de Georges Brassens gaélique, si vous voyez l’image). Cette grande vedette est quasi inconnue en France.
Pour finir cette page, quelques lieux ou personnages qu’il est bon de connaître:
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Mary ROBINSON: 1ère femme Présidente de la République d’Irlande de 1990 à 1997. Femme admirable de simplicité et d’intelligence, militante active en faveur des droits humains, de la justice et de la protection de l’environnement, née à Ballina (County Mayo). Elle a créé une fondation qui porte son nom et qu’elle préside aujourd’hui.
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Arthur GUINNESS (1725-1803): faut-il le présenter? Fondateur de la brasserie qui porte son nom… En Irlande, la bière ne relève pas du folklore, mais de la culture. Se consomme à la pinte, en groupe (jamais seul!). Pour les gastronomes, découvrez Guinness et huîtres ou Guinness et saumon fumé.
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Daniel O’CONNELL (1775-1847): à-travers lui, on peut évoquer WOLFE-TONE, PARNELL, et tous ceux qui ont contribué à mettre fin à l’oppression anglaise sous toutes ses formes: économique, religieuse, politique, culturelle. O’CONNELL a combattu par la non-violence, l’objection, la persuasion; par le droit et par la loi. La visite de Derrinane House, sa maison près de Caherdaniel, est un moment d’émotion. Ne manquez pas ce lieu: les plus belles plages du Kerry et le pub The Blind Piper pour les plats qu’on y sert et la musique qu’on y joue.
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Général HUMBERT (1767-1823): marchand de peaux de lapins que la Révolution Française fit général. Lorsque la jeune République française entreprit d’aider le soulèvement en Irlande, il prit la tête d’un détachement de 1000 volontaires qui débarqua à Killala en août 1798 et mit en déroute l’armée anglaise à Castlebar. Faute de renforts, le soulèvement fut écrasé et la répression terrible . Par la suite, on le retrouve à Saint-Domingue, où il refuse de participer à l’extermination des populations noires de l’île lors de la Révolution Haïtienne. Evincé de l’armée par Napoléon, il combattra dans l’armée américaine lors de la seconde guerre d’indépendance et dans l’armée rebelle mexicaine pour la guerre d’indépendance du Mexique. Il est enterré à la Nouvelle Orléans. Une plaque, un monument modeste à Killala (County Mayo) rappellent cette expédition.
- La comtesse Constance Markiewicz (1868-1927): la “Comtesse rouge”, d’une famille d’aristocrates, adhère au Sinn Féin en 1908, commandant en second de l’insurrection de Pâques 1916, condamnée à mort par les Anglais, elle ne sera le seul dirigeant du mouvement à ne pas être exécutée (car femme…). Elue députée pendant sa détention, elle sera Ministre dans le gouvernement révolutionnaire d’Eamon de Valera, et prend part à la guerre civile les armes à la main. C’est l’occasion d’évoquer tous les héros et martyrs du combat irlandais- catholiques, protestants, socialistes, nationalistes, non-violents ou engagés dans la lutte armée, emprisonnés, torturés, fusillés, morts au combat ou en exil: Théobald Wolfe Tone, Charles Parnell, James Larkin, Michael Collins, Padraig Pearse, James Connolly, sans oublier Bobby Sands et ses compagnons. Chacun, chacune est un personnage romanesque. Sans oublier (elle est encore en activité) Bernadette Devlin, élue au Parlement Britannique à 21 ans, porte-parole de Derry et du Bogside, victime, avec son mari, d’une tentative d’assassinat de la part des paramilitaires de l’Ulster et qui refuse que l’on fasse un film de sa vie.
- Muckross: le parc national de Killarney est une splendeur: chutes d’eau, lacs, forêt de rhododendrons…Et surtout, il faut voir les jardins de Muckross, l’Abbaye, le château et la ferme traditionnelle.
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Trinity College et sa célèbre bibliothèque à Dublin.
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Falls road Milltown cemetery: Allez à Belfast! Avant que tous les vestiges des années noires aient disparu, allez marcher dans les rues de Belfast Ouest, imaginez les barbelés, les tireurs sur les toits et les rondes de véhicules blindés. Ces rues murées, ce ghetto en Europe occidentale jusqu’à la toute fin du XX° siècle. Les cimetières de Belfast Ouest sont des lieux à voir absolument. Allez aussi à Derry… non pas pour jouer au touriste, mais humblement, comme on se tient devant l’histoire.
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Molly Malone: il faut voir sa statue près de Trinity College, et chanter “Crying cockles and mussels, alive, alive, oh!”.
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Mes pubs favoris: Murphy Bros à Ballina, superbe et bon (la ville de Ballina vaut le détour), Mac Clafferty à Letterkenny (County Donegal), O’Dowd’s à Rundstone (Connemara) mais surtout The Crown à Belfast, le plus beau et Robinson’s pour la musique.
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A voir: le site www.irisheyes.fr qui propose une actualité de l’Irlande (tourisme, culture, vie quotidienne) très agréable avec “The Irish Eyes Magazine” et la Newsletter “Courant d’Eire”.
Le dimanche 30 janvier 1972, une manifestation pacifique en faveur des droits civiques organisée en Irlande du Nord à Derry (appelée alors Londonderry) était réprimée à l’arme lourde par l’armée britannique. Treize hommes, dont sept adolescents ont été abattus, deux manifestants ont été écrasés par les véhicules militaires et grièvement blessés et cinq autres frappés par des tirs dans le dos. Toutes les victimes venaient du quartier populaire et catholique de Bogside.
Une commission d’enquête indépendante décidée par Tony Blair en 1998 et composée de magistrats canadiens et australiens a établi, au terme de 12 ans d’investigations, la responsabilité des parachutistes britanniques, et le gouvernement a présenté ses excuses.
Ce fut le Bloody Sunday.
Voilà, cette longue page sur l’Irlande s’achève, et comme toutes les pages que je vous propose, elle s’achève en musique et en images avec la vidéo de voyage ci-dessous.
Bienvenue en Irlande!
*”Irlande, île des saints et des sages”: titre d’une conférence donnée par James Joyce à Trieste en 1907 au cours de son long exil loin de l’Irlande.